On nous a déjà martelé à plusieurs reprises que la déficience auditive non appareillée constitue un facteur de risque important au développement d’une démence ou de troubles cognitifs. En fait, parmi plusieurs autres facteurs de risque les plus courants comme le manque d’éducation ou le tabagisme, la surdité a été identifiée comme le facteur de risque le plus important. Elle serait associée à 8 % des cas de démence. Malheureusement, les mécanismes pathophysiologiques qui expliquent ce phénomène n’ont pas clairement été identifiés.
Une étude de grande envergure a analysé le lien entre l’audition et la fonction cognitive, les structures du cerveau et les protéines du liquide céphalo-rachidien dans des analyses génétiques transversales, longitudinales, de médiation et d’association. Pour compléter cette analyse de profondeur, l’équipe a utilisé le UK Biobank, le Chinese Alzheimer’s Biomarker and Lifestyle (CABLE) et la base de données de l’Alzheimer’s Disease Neuroimaging Initiative (ADNI). Cela nous donne échantillon de plus de 180 000 participants.
Suite à plusieurs analyses génétiques, statistiques, de résultats d’imagerie et de résultats à des évaluations auditives complètes, certaines associations intéressantes en sont ressorties :
- De mauvaises performances au test de reconnaissance de la parole dans le bruit étaient associées à une fonction cognitive moins bonne. Cela laisse supposer que la déficience auditive et la fonction cognitive peuvent partager une cause neurodégénérative commune.
- La perte auditive était significativement liée à un volume inférieur du cortex temporal, de l’hippocampe, du lobe pariétal inférieur, du précuneus, de l’amygdale, du gyrus fusiforme, du cortex orbitofrontal, le gyrus temporal supérieur, etc. et à une intégrité inférieure de la substance blanche (qui relie les différentes aires cérébrales). Ces structures comprennent le cortex d’association auditif et les régions liées au langage. Ces régions ont une connectivité avec le cortex pariétal (fonctions mentales diverses) et le cortex orbitofrontal (responsable des comportements sociaux).
- Environ 50 % des surdités seraient dues à nos gènes. Jusqu’à présent, plus de 150 loci (position sur un chromosome où un gène précis est localisé) ont été identifiés comme facteurs de risque pour la déficience auditive. Cela a permis le calcul d’un score de risque lié à plusieurs gènes ou polygénique de développer une surdité. Un score plus élevé de risque polygénique pour la surdité était associé à une fonction cognitive plus faible, à un volume de matière grise plus faible (responsable du fonctionnement nerveux) et à une intégrité inférieure de la substance blanche.
- Une corrélation a été établie entre la perte auditive et un niveau élevé de protéines tau dans la composition du liquide céphalo-rachidien. Ce liquide est présent dans le cerveau et la moelle spinale. Il reçoit les molécules et déchets provenant du cerveau et protège le cerveau.
- La maladie d’Alzheimer et de nombreuses autres maladies neurodégénératives ont été regroupées sous le terme de « tauopathies ou maladie/pathologie tau », car elles présentent toutes des agrégats filamenteux intracellulaires de protéines tau. Des analyses statistiques ont montré que l’atrophie cérébrale et la pathologie tau intervenaient en partie dans l’association entre la déficience auditive et le déclin cognitif.
La déficience auditive est associée au déclin cognitif
Fig. 1 — L’association de la performance auditive avec la fonction cognitive. a. L’association de la performance auditive avec l’intelligence fluide, la mémoire numérique, le temps de réaction et l’appariement des paires dans l’étude transversale ; b. L’association de la performance auditive avec l’intelligence fluide, la mémoire numérique, le temps de réaction et l’appariement des paires dans l’étude longitudinale. Abréviations : SiN, parole dans le bruit.
La déficience auditive est associée aux structures du cerveau
Fig. 2 — L’association des performances auditives avec la structure du cerveau. a. Un volume inférieur des régions corticales et sous-corticales était associé à une mauvaise performance auditive ; b. Une diffusivité moyenne plus élevée des faisceaux de matière blanche était associée à de mauvaises performances auditives. Les performances auditives ont été mesurées à l’aide du test de parole dans le bruit, dans lequel un seuil de réception de la parole plus élevé indiquait une performance auditive plus faible.
La conclusion de tout cela : la déficience auditive serait associée au déclin cognitif, à une atrophie cérébrale et au développement de la pathologie tau.
Étant donné que la perception de la parole dans le bruit est un résultat de la fonction auditive centrale, tous ces résultats suggèrent qu’un trouble de l’audition centrale est un indicateur non négligeable d’une neurodégénérescence et d’une démence naissante. N’oublions pas que la surdité peut être détectée des années avant que la démence ne soit diagnostiquée.
Ensuite, des changements pathologiques, tels que le dépôt de protéines néfastes pour le système nerveux (amyloïde-β ou Aβ), l’enchevêtrement neurofibrillaire à l’intérieur des neurones (tau) et l’atrophie cérébrale se produisent une décennie avant le début de la démence. Il s’agit d’un autre indicateur utile pour prévenir la démence.
Enfin, bien connaitre comment la démence se développe en lien avec la surdité, les mécanismes neuronaux en cause, permettrait de trouver des pistes potentielles d’intervention précoce pour la démence. D’autres recherches sont nécessaires pour préciser tous les mécanismes impliqués dans la déficience auditive et la démence.
À propos de l’étude
- UK Biobank : La UK Biobank est une étude épidémiologique prospective qui a impliqué plus de 500 000 personnes distribuées entre 22 centres médicaux à travers le Royaume-Uni entre 2006 et 2010.
- Étude CABLE : L’étude chinoise sur les biomarqueurs et le mode de vie de la maladie d’Alzheimer (CABLE) est une vaste étude de cohorte indépendante présentement en cours axée sur la détermination des modificateurs génétiques et environnementaux des biomarqueurs de la maladie d’Alzheimer et leur utilité dans le diagnostic précoce de la population Han du nord de la Chine.
- Base de données ADNI : L’Alzheimer’s Disease Neuroimaging Initiative (ADNI) est une vaste étude longitudinale multicentrique de neuroimagerie, lancée en 2003 qui a recruté plus de 3000 adultes (âgés de 55 à 90 ans).