Pour cette deuxième intervention dans Sourdine Express, mon intention est d’explorer le lien entre l’appareillage auditif et la prévention du déclin cognitif. Au fil des années, la recherche a progressivement mis en lumière un lien entre l’appareillage auditif et le ralentissement du déclin cognitif. Cependant, ces derniers mois ont apporté des éclaircissements significatifs sur ce sujet. Je désire ainsi partager avec vous les résultats de plusieurs études scientifiques récentes qui, selon moi, ont le potentiel de révolutionner le domaine de l’appareillage auditif en y intégrant une dimension désormais indéniable de ses effets sur le cerveau.
En 2020, la commission Lancet sur la démence, qui traite spécifiquement du sujet, a remis un rapport qui a identifié les facteurs de risques connus qui contribuent à la démence. Cette étude conclut que la perte auditive comme le plus grand facteur de risque de démence potentiellement modifiable dans les pays à revenu élevé et à revenu faible à moyen. (Livingson, Huntley, Summerled, & al., 2020)
Plus récemment, en avril 2023, l’analyse d’une cohorte de 437 704 personnes en Angleterre a permis de conclure que : « en comparaison avec les participants sans perte auditive, les personnes atteintes de perte auditive sans appareils auditifs présentaient un risque accru de démence toutes causes confondues de 42 %. (…) Il a été démontré que l’utilisation de prothèse auditive est associée à un risque de démence d’un niveau similaire à celui des personnes sans perte auditive. Jusqu’à 8 % des cas de démence pourraient être prévenus grâce à une gestion adéquate de la perte auditive. » (Fan Jiang, 2023)
Les estimés de la prévalence de la démence d’ici 2050 (GBD 2019 Dementia Forecasting Collaborators, 2022) et les projections de la population canadienne (Statistique Canada, 2022) et québécoise (Institut de la statistique du Québec, 2021), nous indiquent qu’en 2050, il y aura environ 250 000 Québécoises et Québécois atteints de démence.
En juillet 2023, une étude particulièrement percutante a vu le jour. Dirigée par le Dr Frank Lin et son équipe, cette recherche affirme être la première à explorer de manière rigoureuse l’impact de l’appareillage auditif sur la démence au travers un essai clinique randomisé. Cette méthodologie consiste à attribuer les candidats de manière aléatoire à l’un des groupes de traitement, ce qui garantit une répartition aléatoire des caractéristiques des participants entre les différents groupes. C’est une méthode scientifique robuste, qui permet de déterminer avec une confiance accrue si les effets observés sont véritablement attribuables à l’intervention étudiée plutôt qu’à d’autres facteurs.
Aucun effet sur les capacités cognitives n’a été relevé chez les individus jouissant d’une santé cognitive optimale, une observation que l’auteur juge normale. Toutefois, les résultats deviennent nettement plus probants lorsqu’on se penche sur l’impact de la correction auditive chez les personnes présentant des facteurs de risque plus élevés de déclin cognitif tels que l’âge avancé, un niveau d’éducation moindre, un revenu plus faible, une hypertension, un taux de cholestérol élevé ou encore le fait de vivre seul. C’est dans ce groupe spécifique que les constatations se font particulièrement significatives. « La mise en place d’une stratégie de correction auditive selon les meilleures pratiques a été associée avec une réduction de 48 % dans les changements cognitifs sur une période de 3 ans comparativement au groupe de contrôle ayant assisté à des séances individuelles avec un éducateur couvrant des sujets sur la prévention des maladies chroniques.» (Lin, Pike, Albert, & al., 2023)
Devant l’impact majeur des conclusions de cette étude, nous avons planifié une visioconférence avec le Dr. Lin en août dernier. Cette occasion nous a offert la possibilité de lui présenter la situation spécifique au Québec et de recueillir un éclairage des plus instructifs concernant la situation actuelle et les perspectives futures de l’appareillage auditif dans notre province. Cette rencontre sera assurément d’une grande utilité pour les mois à venir qui s’annoncent bien chargés!
Maintenant, qu’est-ce qu’on fait?
La science nous offre désormais une compréhension plus claire des avantages humains découlant d’une excellente stratégie de santé auditive. Nous savons également que la Régie d’assurance maladie du Québec est en train de réviser le programme des aides auditives. Cette opportunité représente une excellente occasion pour l’Ordre des audioprothésistes du Québec de mettre en lumière des éléments qui étaient méconnus il y a trente ans, lors de l’établissement du programme. En conséquence, l’Ordre s’engage à plaider en faveur d’une révision du programme, en accord avec les données scientifiques actuelles.
Parmi nos recommandations clés, la généralisation de l’appareillage binaural occupe une place centrale. Les avantages de l’audition stéréophonique sont très clairement établis, notamment pour la compréhension de la parole dans le bruit et la localisation sonore spatiale. (Avan, Giraudet, & Büki, 2014). Néanmoins, notre démarche vise également à attirer l’attention sur des critères d’éligibilité plus adaptés à la réalité de 2023, en envisageant des approches potentiellement plus ciblées pour les individus présentant un risque accru de déclin cognitif.
Projections à l’appui, le groupe d’âge des 70 ans et plus devrait augmenter de plus de 500 000 personnes au Québec au cours des dix prochaines années, passant de près de 1,3 million à près de 1,8 million de personnes. De même, le groupe des 80 ans et plus devrait doubler d’ici 2040, passant de près de 460 000 à près de 960 000 personnes. (Institut de la statistique du Québec, 2021).
Dans ce contexte, considérer que l’appareillage auditif pourrait contribuer au maintien d’une meilleure santé cognitive et potentiellement retarder l’admission de milliers de Québécoises et Québécois dans des centres d’hébergement, rend la conjoncture actuelle d’autant plus critique.
Dans notre démarche de sensibilisation et de collaboration avec la RAMQ, le maintien de la gratuité revêt également une importance primordiale pour l’Ordre. Ceci est particulièrement crucial, car un de nos objectifs est d’améliorer la prise en charge des individus les plus vulnérables au sein de notre société, souvent dépourvus de voix pour s’exprimer auprès des décideurs politiques.
Références
Avan, P., Giraudet, F., & Büki, B. (2014). Importance of Binaural Hearing. Audiology and Neuro-otology, 3–6.
Fan Jiang, S. R. (2023). Association between hearing aid use and all-cause and cause-specific dementia: an analysis of the UK Biobank cohort. Lancet Public Health.
GBD 2019 Dementia Forecasting Collaborators. (2022). Estimation of the global prevalence of dementia in 2019 and forecasted prevalence in 2050: an analysis for the Global Burden of Disease Study 2019. The Lancet. Public health, 7(2), e105–e125., https://doi.org/10.1016/S2468-2667(21)00249-8.
Institut de la statistique du Québec. (2021). Projections de population – Régions administratives et régions métropolitaines (RMR). Récupéré sur https://statistique.quebec.ca/fr/document/projections-de-population-le-quebec
Lin, F., Pike, J., Albert, M., & al. (2023). Hearing intervention versus health education control to reduce cognitive decline in older adults with hearing loss in the USA (ACHIEVE): a multicentre, randomised controlled trial. The Lancet.
Livingson, G., Huntley, J., Summerled, A., & al. (2020). Dementia prevention, intervention, and care: 2020 report of the Lancet Commission. The Lancet.
Statistique Canada. (2022). Table 17-10-0057-01 Projected population, by projection scenario, age and sex, as of July 1 (x 1,000). Récupéré sur https://doi.org/10.25318/1710005701-eng